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La conquête de la Syrie-Palestine

Par Samadi Nicolle

Programme Histoire 5e


Sommaire

Présentation du sujet

Place de la conquête syro-palestinienne dans l’expansion de l’islam

En à peine une décade, quelques campagnes éclair menées entre 629 et 640 par de faibles effectifs de guerriers « porteurs de Coran », inaugurent l’expansion territoriale des Arabes. Sortie de son « île », la péninsule arabe, la première génération des « musulmans » affronte militairement les deux grands empires voisins. Ses victoires affaiblissent considérablement l’Empire byzantin et, dans le même temps balaient l’Empire des Sassanides (635-642). La dynamique de la conquête arabe commence avec la chute de la Syrie-Palestine qui met fin à sept siècles de domination impériale (romaine, grecque, byzantine). En 640, l’Empire byzantin est définitivement amputé de ses riches provinces d’Orient. Les Arabes dénomment les régions conquises Bilâd al-Shâm.

Les premières conquêtes sont conduites par les Râshidûn, successeurs de Muhammad, les deux beaux-pères, Abû Bakr (632-634) et ‘Umar (634-644) puis les deux gendres 'Uthmân (644-656) et ‘Ali (656-661). Dans la foulée de leurs succès militaires en Syrie-Palestine, les Arabes s’emparent de l’Égypte (635-646) et la Syrie devient une base pour la conquête de la Mésopotamie. La facilité, la rapidité des victoires apparaissent comme inouïes aux chroniqueurs musulmans des générations postérieures comme al-Balâdhurî (m. 892) auteur du Livre des Conquêtes musulmanes et al-Tabarî (m. 923) qui rapporte ce propos attribué au calife ‘Umar : « Elle [la Syrie] s’était couchée tranquillement comme un chameau sous la main de son maître ». Les chroniqueurs et historiens occidentaux n’ont pas manqué de souligner à leur tour, le caractère « tout à fait extraordinaire » de cette épopée militaire.

Les nouveaux vainqueurs administrent la Syrie en reprenant les divisions byzantines en provinces militaires (djound, pluriel adjnâd) d’Émesse (Hims), Damas (Damashq), Jordanie (al-Urdunn), Palestine (Filastîn). Les premiers camps militaires arabes deviennent des centres de peuplement mais le système administratif byzantin des cinq districts et certains fonctionnaires syriens restent en place.

Dans la seconde phase des conquêtes, les Omeyyades, fondateurs de la première dynastie arabe, jettent les fondements d’un immense empire islamique qui s’étendra de Gibraltar à l’Indus. Puis, de 1300 environ à 1700, une nouvelle phase d’expansion, s’accompagnant d’une islamisation pacifique par le commerce et les confréries, porte le « message » au-delà de la Méditerranée, de la Hongrie à l’Indonésie et dans le monde malais. Le processus d’islamisation des ethnies de cultures multiples, inauguré par la conquête est encore à l’œuvre à l’époque contemporaine au cœur de l’Afrique sub-saharienne où l’islam est toujours en progression.

Des facteurs multiples, mais qui suscitent des débats

  • L’épuisement des deux grands empires du Proche-Orient affaiblis par leurs luttes militaires séculaires et leurs querelles internes. L’empire byzantin sort d’un affrontement coûteux avec l’empereur sassanide Chosroès, ses difficultés financières freinent le paiement de subsides aux « auxiliaires » arabes alliés, en particulier les Ghassânides chargés de renforcer la défense des frontières. De plus, l’Empire se compose d’une mosaïque d’identités religieuses dont l’unité est compromise par le schisme entre l’orthodoxie byzantine et le monophysisme, au milieu du Ve siècle. La Syrie reste attachée à son église monophysite et jacobite. Les tentatives de compromis religieux sous Héraclius (638) échouent.

  • L’islam comme élément de cohésion. Les succès militaires infligés aux Byzantins auraient renforcé l’enthousiasme des guerriers arabes, nouvellement convertis. Leurs victoires apparaîtraient comme un « miracle » confirmant la Révélation reçue par Muhammad.

  • Les qualités et la stratégie des forces arabes. Dès 636 le calife Abû Bakr réorganise l’armée en quatre corps. Les campagnes arabes sont bien organisées et conduites par des chefs de guerre d’élite issus de l’aristocratie mekkoise et médinoise, parmi eux le général Khâlid ibn al-Walîd « l’épée d’Allah » jouit d’un grand prestige. On soulignera aussi la mobilité des cavaliers arabes et l’avantage du chameau pour le portage. En face, l’adversaire byzantin dont la stratégie est plutôt axée sur la défense en profondeur et appuyée sur des Arabes mercenaires plutôt mal payés et aussi des tribus alliées. Il semble que les Byzantins sous-estimaient le danger arabe et ne voyaient dans leurs incursions que des attaques de « routine ». La prudence s’impose cependant sur toutes ces questions car l’organisation militaire des belligérants reste encore mal connue. La supériorité de la cavalerie arabe, traditionnellement privilégiée par l’historiographie, est aussi remise en cause par les historiens (Fred McGraw Donner, 1981).

  • Le dynamisme démographique. Les premières conquêtes arabes ne seraient‑elles que « l'une des multiples migrations qui jetèrent périodiquement les Sémites sur les pistes du Croissant fertile, et au-delà » ? La migration des tribus le long des routes commerciales et dans les régions du Croissant fertile est un fait constant de l’histoire des tribus arabes, « sous la pression de la surpopulation » (Bernard Lewis, Les Arabes dans l'Histoire, Aubier, 1993, p. 71).

  • La position centrale des bases de départ de la conquête, La Mekke et Médine par rapport aux provinces byzantines et perses a facilité les incursions guerrières.

Les principales questions en débat concernent les facteurs de la conquête. Prosélytisme de la nouvelle foi ou projet politique ? La plupart des historiens occidentaux du XIXe siècle ont décrit les conquêtes comme des guerres de « conversion par le glaive », ils les ont associées à des images de déferlements et de croisades. Alphonse Couret, magistrat lettré, la résume ainsi :

« ces brigands arabes, si connus par leur féroce avidité et leur amour du pillage, apparaissaient cette fois avec un caractère inattendu : de bandits, devenus apôtres, ils prêchaient une religion nouvelle, invitaient les peuples à la fraternité religieuse et marchaient disaient–ils, à la conquête du monde dans le seul but de le soumettre à l’islamisme » (Thèse, 1869, réédition 2004, La Palestine sous les empereurs grecs, 326-636, p. 259-260).

Il conviendrait de ne pas surévaluer le seul facteur religieux et de bien distinguer l’islam des premiers conquérants de l’islam « historique », défini comme religion de la soumission, et reposant sur des fondements, les usûlet des pratiques obligatoires.

On ne peut évoquer non plus le djihâd comme facteur de l’expansion islamique dans les territoires conquis. Le djihâd ne figure pas dans les cinq « piliers » de l’islam, c’est un concept théologique et juridique important développé à partir du VIIIe siècle. On le traduit par « guerre sainte », « guerre légale » ou « combat sacré ».

Sens littéral de djihâd

Racine g h d : faire son possible

Étymologie : effort " tendu vers un but déterminé"

Sens coranique

35 versets

Sens général : lutte pour rejoindre « la voie de Dieu » (22 versets).

Lutte contre les « infidèles » de La Mekke. Lutte guerrière

Sens spirituel (2 versets)

Époque « classique »

(Hadîths et manuels de Sharî’a)

Lutte " légitime " :

  • contre des « ennemis » : bandit, pirate, voleur, apostat, ou toute personne, tout groupe offensant l’autorité de l'islam.

  •  « combat sacré » contre l’Infidèle qui n’accepte pas de se soumettre à l’islam.

Lutte contre soi-même, effort sur soi dans la voie de la perfection. Pour les shi’îtes, c’est le djihâd majeur, dit aussi « djihâd des âmes ».

Djihâd contemporain

Référence religieuse légitimant l’action politique, et parfois réhabilitée pour justifier la violence terroriste ou auto-sacrificielle exercée par le « combattant de la foi ».

Selon l’historien américain Fred McGraw Donner, auteur d’une étude magistrale The Early Islamic Conquests [1981], Princeton University, édition 2001, la dynamique religieuse – un Dieu universel, un prophète, une loi morale- ne doit pas être sous estimée. Ce fut un élément d’unification du nouvel État intégrant des tribus arabes puis des peuples. Tout en reconnaissant la force de la foi nouvelle qui pousse les Arabes vers les marges du désert arabo‑syrien anciennement arabisées par les migrations, certains historiens considèrent que la conquête relèverait aussi et d’abord d’un projet d’expansion militaire. Durant les deux premiers siècles de l’Hégire, la conquête arabe aurait été une expansion territoriale et politique. Sans réduire la force du sentiment religieux il conviendrait de le pas la surestimer « en ce sens qu'il n'y avait pas d'intention de prosélytisme chez les conquérants » (Robert Mantran L'expansion musulmane, Paris, 1969, p. 309).

Éléments de cadrage

Le programme

Il précise que les débuts de l’islam seront étudiés selon une démarche historique de « contextualisation » dans le cadre de la conquête. Il s’agira de prendre appui sur « des sources historiques, le récit d’un évènement ». Les élèves devront « raconter et expliquer » un épisode de la conquête.

Alors que des nouveaux manuels n’ont pas renoncé à commencer la séquence sur l’islam par la vie du Prophète, il conviendrait plutôt de présenter en premier lieu l’épisode de la conquête syro-palestinienne, première phase de l’expansion arabo-musulmane. Tout d’abord, c’est un fait majeur inaugurant un bouleversement géopolitique sous les deux premiers empires arabes (VIIe-IXe siècles) - notamment lors de la période 634-651 - caractérisée par la rapidité et l’étendue de la conquête sur cinq régions majeures du Proche-orient (Syrie-Palestine ; Mésopotamie, Egypte, Arménie, Iran). Enfin, pour l’épisode syro-palestinien on dispose de données externes à l’historiographie musulmane.

La contrainte du temps assigné dans les programmes aux débuts de l’islam (10%) impose des choix. Il conviendrait de le situer dans la chronologie de la conquête et de suivre sur une carte les principales opérations militaires. Deux figures peuvent être évoquées celle du général Khâlid ibn al-Walîd (grandes victoires Adjnâdayn, 634-635,et de Yarmûk en 636) et le calife ‘Umar (auquel la tradition associé un « pacte » accordé aux chrétiens après la prise de Jérusalem, 638).

Quelques repères historiques

  • 610-641 : Règne de l’empereur byzantin Flavius Héraclius. Son immense empire s’étend de Gibraltar au pied du Caucase, de la mer Noire au Nil.

  • 611-614 : L’empereur perse Chosroès envahit et pille la Syrie-Palestine. Le Saint-Sépulcre est dévasté.

  • 622 : Hégire.

  • 629 (ou 630) : Héraclius restaure triomphalement les reliques de la Croix à Jérusalem.

  • 629 et 630 : Les Arabes du sud lancent des expéditions isolées en Syrie-Palestine : d’abord à Mu’ta (à l’est du Jourdain) pour « venger » le meurtre d’un messager de Muhammad par un Arabe ghassânide suivie d’un raid à Tabûk au nord du Hedjâz.

  • 632 : Mort de Muhammad.

  • 634 : Affrontement décisif à Adjnâdayn, les Arabes sont conduits par Khâlid. Défaite de l’armée byzantine.

  • 20 août 636 : Grande victoire musulmane en Galilée sur le Yarmûk (affluent du Jourdain). L’armée byzantine est conduite par le frère d’Héraclius et les forces arabes par Khâlid ibn al-Walîd, Qoraysh converti, qui avait contribué sous le premier calife à écraser la rébellion des tribus arabes (riddah). Les musulmans contrôlent la Syrie : Damas qu’ils avaient abandonnée en 635 est reprise en 636, Emèse en 637.

  • 636 (ou 637) : Victoire arabe sur les Perses sur la rive droite de l’Euphrate à Qâdisiyya. Les Arabes prennent la capitale perse de Ctésiphon sur le Tigre en 637.

  • 638 : Après un siège de deux ans, les armées arabes entrent dans Jérusalem. ‘Umar deuxième calife (634-644) aurait accordé un « Pacte » aux habitants garantissant la sécurité des personnes, des biens, des lieux de culte en échange d’une taxe (djizya).

  • 640 : Le port fortifié de Césarée (capitale de Palestina Prima) subit un blocus de sept ans et se rend. Prise d’Ascalon. La conquête de la Syrie-Palestine est achevée.

  • 641 : L’installation d’une garnison arabe à Fustât inaugure la conquête de l’Égypte.

Notions de base

  • L’islam des premières décades qui suivent la mort de Muhammad (632) est alors à l’état de gestation. La nouvelle foi monothéiste n’a pas encore produit de doctrine ferme et définitive. L’islam ne s’institutionnalise et ne se constitue « en religion » que très progressivement. Au cours des siècles suivants, il devient un système normatif qui se précise au contact des cultures des peuples conquis. Il conviendrait donc d’éviter les expressions « apparition », « surgissement » de l’islam, d’ailleurs l’intitulé du programme invite à la prudence en privilégiant les termes de « naissance », « débuts ».

  • Distinguer arabisation et islamisation des peuples conquis. La souveraineté politique des vainqueurs arabes sur un immense domaine ne s’accompagne pas d’une expansion religieuse et linguistique immédiates. Loin de suivre une propagation fulgurante, le mouvement de conversion est un processus lent et massif, mais des communautés, juives, chrétiennes ou zoroastriennes continuent à se maintenir dans les pays conquis.

  • Tolérance et héritage. La prise de Jérusalem, exemple emblématique de la conquête syro-palestinienne, n’est pas une reddition militaire ordinaire en raison de son statut de ville sainte pour les juifs et les chrétiens (elle est aussi le siège du patriarcat byzantin). Les sources musulmanes et syriaques en particulier la chronique anonyme dite de Séert (VIIe siècle) du nom du lieu où elle fut trouvée à l’Est de la Syrie) et byzantines mentionnent un « Pacte d’Omar » ou « traité de capitulation offert aux habitants de Jérusalem » par le calife Omar, qui aurait montré une grande déférence pour le culte chrétien et le Saint Sépulcre. Les chroniqueurs musulmans de l’islam classique, exalteront cette vision faite de respect et du sentiment que la conquête leur a à la fois légué des cultures et ouvert un monde dont ils se sont aussi sentis les héritiers. Les sources grecques présentent la même vision, celle d’un homme puissant qui vient humblement recevoir la capitulation de Jérusalem. Invité à prier dans le Saint-Sépulcre par le Patriarche de Jérusalem Sophronius, Omar aurait préféré, par respect, rester à prier sur le parvis de l’église.

Textes de référence

La conquête dans les sources chrétiennes médiévales d’Orient et arabes

Dans les sources chrétiennes médiévales d’Orient (Arménie, Mésopotamie, Syrie…) la conquête arabe est vécue comme un cataclysme.

  • Les chroniques syriennes (ou syriaques), marquées par une vision théologique de l’histoire, considèrent que l’entrée en « esclavage » des chrétiens au service de nouveaux « maîtres » arabes est la punition de leur péché. La conquête musulmane est un cataclysme. La mention syriaque la plus ancienne est un court extrait rédigé peu après la bataille du Yarmouk. C’est un témoignage direct sur les événements.

  • Sébéos, évêque arménien de la fin du VIIe siècle, auquel on attribue une chronique Histoire d’Héraclius traduit de l’arménien par Frédéric Macler, (1904). C’est une compilation de plusieurs sources, rassemblée avant 655 et présentée dans un ordre chronologique approximatif.

« Ils sortirent de leur île répartis en « douze tribus », aidés par les enfants d’Israël pour les guider, ensemble ils réclamèrent à l’empereur des Grecs* le pays d’Abraham. Héraclius refusa et envoya ses troupes en Arabie, pour se défendre. Les Arabes encerclèrent leur campement, la plupart des Grecs pris au piège périrent dans les sables. »

« Les Ismaélites*, après avoir franchi le Jourdain, campèrent à Jéricho. La terreur qu’ils inspiraient gagna les habitants du pays, qui firent tous leur soumission. Cette nuit-là les habitants de Jérusalem mirent à l’abri la croix* du Seigneur et tous les ustensiles des églises de Dieu ; ils les embarquèrent et les emmenèrent sur des vaisseaux au palais de Constantinople (635) ; puis ils demandèrent aux Ismaélites la garantie d’un serment et leur firent soumission. »

Histoire d’Héraclius, extraits des chapitres 24 et 29

Dans ce texte :

- L’empereur des Grecs est Héraclius, empereur byzantin né en Arménie.

- Les musulmans sont désignés comme Ismaélites (les enfants d’Ismaël).

- La croix : en mars 630, Héraclius rapporte à Jérusalem le bois de la Sainte Croix reprise aux Perses qui avaient conquis la ville en 614.

  • Sources byzantines : dans la plupart des manuels on trouvera un court extrait sur la bataille du Yarmuk avec la mention « d’après l’historien chrétien » Théophane. Il s’agit d’un célèbre moine byzantin (mort vers 818) dit « Le confesseur » auteur d’une Chronographie. Elle a été traduite du grec en latin par un moine érudit Anastase « Le Bibliothécaire » (IXe siècle) et éditée en 1883-1885 par Carl De Boor à Leipzig. On dispose d’une excellente traduction en anglais à partir du grec (Philadelphia, 1982). Théophane est la source grecque essentielle pour l’histoire de l’Empire byzantin des VIIe et VIIIe siècles.

L’extrait reproduit dans les manuels est une citation tirée du Mémoire sur la conquête de la Syrie de l’orientaliste néerlandais Mikael Jan De Goeje (2e édition, Brill, Leide, 1900, chapitre VII, p. 113) qui cite Théophane.

Théophane dit : « Les troupes du sakellarius1 se retirèrent alors et les musulmans, profitant de l'occasion, engagèrent le combat. Un fort vent du sud soufflant au visage des Romains, une épaisse poussière les empêcha de voir l'ennemi, et cela fut la cause de leur défaite. Ils se précipitèrent dans les ravins du Yarmouk et y périrent presque tous. »

Dans les sources arabes,on privilégiera deux grands historiens, al-Balâdhurî (m. 892), Les conquêtes de l’islam, (Futûh al-buddân) première histoire générale de l’islam et surtout al-Tabarî, exégète, jurisconsulte, historiographe né en Perse, (m. 923) auteur de La chronique, histoire des prophètes et des rois, trad. du persan, par Hermann Zotenberg, Sindbad/Actes sud, 2001. Al-Tabarî admire la rapidité de la conquête : « La Syrie s’était couchée tranquillement comme un chameau sous la mais de son maître » (Sindbad, p. 185). Al-Tabarî a recueilli plusieurs traditions dans un récit composé plus de deux siècles après les faits.

« Après avoir divisé ses trente-six mille soldats en trente-six corps commandés par autant de généraux, Khâlid marcha à l’ennemi. Le jour de la rencontre, les deux cent cinquante mille Romains formèrent leur ligne de bataille. Khâlid ordonna aux lecteurs du Coran de son armée de réciter la sourate al-Anfâl ; puis il fit proclamer que ceux d’entre les muhâdjirûn et les ansâr qui avaient été les compagnons du Prophète sortissent des rangs et se réunissent sur un point. Il les plaça devant les lignes de bataille et prononça ces mots : « Ô Seigneur, voici les hommes par lesquels tu as porté aide à ton prophète et par lesquels tu as fermement établi ta religion ! » Ensuite, ayant assigné aussi un poste séparé à ceux qui avaient assisté au combat de Badr et qui étaient au nombre de cent. Khâlid leur dit : « Quant à vous, je ne vous demande pas de combattre ; mais vous devez tous vous prosterner et prier, afin que Dieu nous vienne en aide ». Ces hommes firent ainsi. Ils prièrent et récitèrent le Coran. La bataille s’engagea… ».

(Sindbad, p. 108-110)

Comparaison entre les récits arabes et les récits chrétiens

On remarquera que tous les récits musulmans magnifient la foi musulmane. On relèvera chez al-Tabarî les expressions « lecteurs du Coran » ; récitation d’une sourate (Sourate 8 dont le nom arabe, al Anfâl, est traduit par « le Butin »); la place au premier rang des « compagnons du Prophète » les muhâdjirûn (émigrés) et les Ansâr (Médinois ralliés à Muhammad). Chronographie. Al-Tabarî oppose la force de la foi des armées arabes aux « Romains » qui alignent des forces supérieures en nombre face aux 24 000 à 36 000 Arabes (sources musulmanes, et 40 000 dans la Chronographie).SelonAl-Balâdhurî, Dieu tue 70 000 ennemis.

Badr : désigne le lieu d’une fructueuse razzia des musulmans de Médine sur une grande caravane mekkoise, en 624. Cette victoire « avec l’appui de Dieu » eut un énorme retentissement dans la communauté médinoise des musulmans.

Les chroniqueurs grecs ne sont pas des historiens, ils attribuent la cause des malheurs au châtiment divin et à la mauvaise conduite des empereurs. Les extraits proposés dans les manuels privilégient le détail (le « vent du sud » qui aveugle le camp des « Romains ») et la violence du massacre. Ces choix des éditeurs occultent  des facteurs politiques internes à l’Empire (dissidence dans le camp byzantin ; départ des « alliés » non rétribués…) que les chroniques grecques mentionnent pourtant.

‘Umar (Omar) dans les textes

Sources grecques

Théophane

Les sources arabes magnifient l’image du calife ‘Umar. Doté de « beaux traits », il est présenté comme un homme juste, d’une grande puissance physique, frugal dans sa nourriture, d’une grande austérité vestimentaire. La source principale est le récit de al-Tabarî, La chronique, histoire des prophètes et des rois, 2001, vol. 2, p. 269.

Le calife Omar selon al-Tabarî :

« Il conquit le monde, abaissa tous les souverains, fonda des villes, telles que Basra et Koufa, et régla des affaires administratives et d’impôt. Ses armées pénètrent à l’est (…) ; au sud ( …) ; à l’ouest. Les habitants de tous ces pays devinrent ses sujets et furent sous son obéissance. Et, malgré cette puissance, Omar ne changea pas la moindre chose dans sa manière de vivre, de manger, de dormir, de s’habiller ou de parler ».

Le «pacte» d’Omar

« Au nom de Dieu, Clément, Miséricordieux. Voici la garantie que le serviteur de Dieu, Omar, émir des croyants, accorde aux habitants de Jérusalem. A tous sans distinction, qu'ils soient bien ou mal disposés, il garantit la sécurité pour eux-mêmes, leurs possessions, leurs églises, leurs croix et tout ce qui concerne leur culte. Leurs églises ne seront pas transformées en habitations, ni ne seront détruites, et l'on n'enlèvera rien aux églises elles-mêmes, ni à leurs territoires, ni aux croix ou possessions des habitants. Ils ne seront point contraints en matière de religion et personne d'entre eux n'aura la moindre vexation à craindre. Les juifs n'habiteront pas Jérusalem conjointement avec les chrétiens (...). On n'aura rien à payer jusqu'à ce que la première moisson soit mûre. Pour leur garantir tout ce que renferme ce traité, il prend Dieu pour témoin et leur promet la protection de l'envoyé de Dieu et celle de ses successeurs et des fidèles. Il ne leur sera fait aucun mal, à condition qu'ils paient la capitation [impôt] ».

Extraits cités par Claude  Gauvard et Jean Mathiex , « Le Moyen Age (476-1492)  », collection Isaac, 5e, Classiques Hachette, Paris, 1971, p. 35. Voir http://icp.ge.ch/po/cliotexte/le-moyen-age/islam.conquete.html

Le « Pacte » écrit est un amân, garantissant les biens des personnes et leurs biens.

Dans les textes arabes anciens Jérusalem est désignée par Aelia, ou en Îliyâ’, forme arabisée en usage jusqu’au IXe siècle.

Dans les textes d’auteurs occidentaux du XIXe siècle

Ernest Renan, « Mahomet et les origines de l’islamisme », [1851, Revue des Deux Mondes]

« Toute l'énergie qui fut déployée dans la fondation de la religion nouvelle appartient à Omar. Omar est vraiment le saint Paul de l'islamisme, le glaive qui tranche et qui décide. On ne peut douter que le caractère indécis de Mahomet n'eût compromis son œuvre sans l'adjonction de cet impétueux disciple, toujours prêt à tirer le sabre contre ceux qui n'admettaient pas sans examen la religion qu'il avait d'abord persécutée. La conversion d'Omar fut le moment décisif dans le progrès de l'islamisme. Jusque-là les musulmans s'étaient cachés pour pratiquer leur religion et n'avaient osé confesser leur foi en public. L’audace d'Omar, son ostentation à s'avouer musulman, la terreur qu'il inspirait leur donna la confiance de paraître au grand jour. […] cette pensée que le monde doit devenir musulman, est une pensée d'Omar ».

Sélection iconographique

  • La plupart des manuels proposent des reconstitutions de cavaliers ou des illustrations tardives, en particulier des miniatures de « Cavaliers musulmans » (XIIIe siècle, Escorial ; manuel de cavalerie du XIVe et Cavaliers arabes, BnF). On doit rester très prudent sur les questions de cavalerie pour éviter les anachronismes.

  • La MosquéeOmarî à Jérusalem. Nombreuses images sur internet (ex: Image, original from PALÄSTINA und das OSTOJORDANLAND (Julius Hoffmann, Stuttgart, 1925). Le minaret du XIIe siècle de cette mosquée dite « mosquée d’Omar » domine la coupole du Saint-Sépulcre. L’image de ce monument modeste rappelle la légende du « pacte » attribué aux vaincus par le magnanime Omar. On évitera la confusion avec le « Dôme du Rocher » encore désigné sous ce nom dans des manuels.

  • Le « Dôme du Rocher » achevé cinquante ans après la conquête en 691/692 est une exemple remarquable d’emprunts à l’art impérial des vaincus. Sa forme rappelle le ciborium ou reliquaire édifié sur le modèle des martyrium chrétiens. Le répertoire iconographique des « vaincus » s’étale dans les mosaïques : vases, cornes d’abondance, et l’ornementation en « joyaux » (couronnes, diadèmes, colliers…) qui symbolise la souveraineté, la richesse, la sainteté dans les cultures impériales byzantines et sassanides. Le premier art islamique - art syrien - constituera un art de « référence » dans l’art musulman.

 

Bibliographie

Cartes

Carte muette, 2007 l’âge des califes, légende en anglais, domaine public.

La carte des conquêtes de l’ouvrage d’André Miquel, L’Islam et sa civilisation, Paris, Armand Colin, « Destins du monde » [1968], 7e éd. revue et corrigée, avec la collaboration d’Henry Laurens, 2003, 440 p. Le système des flèches à partir les centres de commandement apporte une véritable dynamique dont sont dépourvues les cartographies habituelles.

Ouvrages

Buresi Pascal, Histoire de l’islam, La Documentation photographique, n° 8058, juillet août 2007, Paris, La Documentation française, 2007

Ducellier, Alain et Micheau, Françoise, Les pays d’islam VIIe-XVe, Paris, Hachette supérieur [2000], réed. 2007.

McGraw Donner, Fred, The Early Islamic Conquests [1981], Princeton University, édition 2001.

Mantran Robert, L’Expansion musulmane. VIIe-XIe siècle, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio», Paris, 1991, 352 p.

« Multiple Jérusalem : Jérusalem terrestre, Jérusalem céleste », Meddeb, Abdelwahab, Khelladi, Maya et Arnould, Caroline, Dédale n° 3 et 4, printemps 1996, Paris, Maisonneuve et Larose, 620 p. [extraits traduits de 14 langues. Chapitre XI « Palestine » ; on trouvera en particulier deux textes : le « Pacte d’Omar » par al-Tabarî et « La prise de Jérusalem » par al-Balâdhurî (m. 892), auteur d’une Histoire des conquêtes (Futûh al-buldân) à partir essentiellement de sources orales.]

NOTES DE BAS DE PAGE

1  Sakellarius : dignitaire de l’Empire byzantin chargé du Trésor.

NUAGE DE MOTS-CLEFS
Lexique : Ansâr, Djihâd, Djizya, Monophysisme, Râshidûn, Riddah, Église jacobite, Muhâdjirûn, Ghassânides, Bilâd al-Shâm, Usûl
Domaines religieux : Islam
Guide des ressources : Enseignement : Histoire, Enseignement : Synthèses et applications pédagogiques

Référence du document

« Samadi Nicolle, La conquête de la Syrie-Palestine » , 2011 , IESR - Institut d'étude des religions et de la laïcité , mis à jour le: 16/12/2016, URL : https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/fiches-pedagogiques/conquete-syrie-palestine

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